Le bandit avança encore de quelques mètres, insoucieux du danger qu’il courait à se montrer dans ces lieux :

— Très bien, murmura-t-il encore, il y a une étincelle sur le toit. Je dois en conclure qu’il y a là un inspecteur de la Sûreté, et que cet imbécile, en dépit des ordres formels qu’à dû lui donner Juve, se permet d’en griller une.

Fantômas avançait toujours. Il arrivait à la hauteur de la voiture automobile. Il appela, d’une voix tranquille :

— Nalorgne ! Pérouzin !

— Qui va là ? hurla Pérouzin.

— Pas un pas ou vous êtes mort ! cria Nalorgne.

Et Nalorgne brandissait, terrible, une pompe à pneumatiques.

Fantômas s’embarrassa peu de cette façon de le recevoir.

— C’est moi, déclara-t-il simplement, en considérant les deux policiers. J’imagine que vous êtes toujours mes amis ?

Fantômas ne menaçait pas Nalorgne et Pérouzin, mais il tenait son browning à la main, sans ostentation.

Et Nalorgne et Pérouzin, immédiatement, comprirent qu’il valait mieux ne pas tenter une arrestation qui pouvait être périlleuse.

— Évidemment, répondait Nalorgne, nous sommes toujours vos amis.

Et Pérouzin continuait :

— Et puis on ne s’occupe plus guère de police. Nous avons bien assez à faire avec notre voiture. C’est compliqué d’arrêter les gens, mais c’est encore plus compliqué de faire marcher cette bagnole-là.

Ce n’était pas le moment de plaisanter et Fantômas l’interrompit rudement :

— Taisez-vous ! ordonna-t-il. Vous n’avez qu’à répondre à mes questions et voilà tout. Que faites-vous ici ? Où est Juve ?

— Là-bas, répondait Pérouzin en clignant de l’œil, chez lady Beltham.

— Seul ?

— Non, avec Léon et Michel.

— Il y a d’autres agents ?

— Oui, on en a mis partout, affirma Nalorgne, d’un ton satisfait.

Et il interrogea :

— Avez-vous vraiment l’intention de tenter quelque chose cette nuit, Fantômas ?

Mais à ce moment, Fantômas paraissait de meilleure humeur que quelques instants avant. Il considérait à nouveau Nalorgne et Pérouzin campés devant lui :

— Vous êtes des imbéciles, déclara le Maître, mais vous n’êtes pas de méchantes gens, je m’en souviendrai.

Et, sur cette phrase énigmatique, il tourna les talons, il s’éloigna.

Or, à peine était-il parti, que Nalorgne et Pérouzin se regardèrent stupéfaits :

— Qu’est-ce que cela veut dire ? dit Nalorgne.

— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Pérouzin.

La silhouette de Fantômas, à ce moment, disparaissait dans le haut de l’avenue Niel.

— Il ne va rien se passer du tout, reprit Nalorgne.

— Ou s’il se passe quelque chose, ajouta Pérouzin, c’est que Fantômas se fera arrêter. Parbleu, nous sommes là.

— Oui, nous sommes là ! répéta son acolyte avec fierté. Quand Fantômas vient seulement se renseigner, on peut causer. Cela ne fait pas de mal, mais s’il tentait quelque chose…

Et le fantoche prit une pose farouche.

***

À six heures du matin, Juve seulement commençait à respirer. La nuit avait été très calme, aucun incident ne l’avait marquée, Fantômas n’était point venu. Rien ne s’était passé, lady Beltham était sauve, évidemment.

Juve qui, de la nuit, n’avait fermé l’œil et s’était continuellement promené en compagnie de Léon et Michel dans la galerie sur laquelle s’ouvrait la porte de la chambre de lady Beltham, se frotta les mains avec satisfaction.

— Léon, dit-il, mon vieux Léon, Fantômas, pour une fois, aura eu peur de nous, aussi parbleu, nos précautions étaient trop bien prises. Il ne pouvait rien contre lady Beltham. Il a eu l’intelligence de comprendre qu’il valait mieux s’abstenir que de s’exposer à un échec.

— Oui, dit Léon. Et vous croyez, patron, que maintenant lady Beltham est sauve ?

— Je suis tenté de le croire.

À ce moment, dans la chambre où reposait la maîtresse de Fantômas, un réveil sonna. Juve était convenu la veille avec lady Beltham que ce réveil sonnerait à six heures du matin. Lady Beltham devait alors immédiatement se lever et ouvrir la porte au policier.

— Attention, dit Juve joyeusement. Nous allons voir la rescapée et peut-être après les émotions de cette nuit, voudra-t-elle bien nous faire quelques confidences ?

Juve espérait, en effet, que, sauvée de Fantômas, lady Beltham se déciderait à parler. Il ajouta cependant :

— Mais soyons respectueux, laissons à lady Beltham le temps de se lever.

Juve et les deux agents causèrent encore quelques minutes, puis soudain Juve devint nerveux :

— Ah ça, déclara le roi des policiers, c’est extraordinaire. Est-ce que par hasard lady Beltham dormirait si bien que le réveil ne l’aurait point tirée de son somme ?

Juve s’approcha de la porte et frappa des coups d’abord timides, puis bientôt plus forts.

— Lady Beltham ! appela-t-il. Lady Beltham !

Aucune réponse.

Les trois hommes se reculèrent, et, sans même s’être concertés, à coups d’épaule, firent sauter la porte hors de ses gonds.

À peine, d’ailleurs, un battant était-il tombé que Juve bondissait dans la pièce.

Il s’élançait avec une impétuosité folle et, soudain, de stupeur, au milieu de la pièce, il s’immobilisa :

— Ah malédiction ! hurlait le policier.

Sur le lit de milieu, dans la chambre close, dans la chambre barricadée, dans la chambre où personne n’était entré, où personne, matériellement, n’avait pu entrer, lady Beltham était étendue immobile, glacée, morte.

19 – LA SUBTILE ASPHYXIE

Fandor était depuis quelques instants arrivé au Théâtre Ornanoet cherchait avec peine à découvrir le père Coutureau parmi la foule des figurants, des machinistes.

Ce fut un pompier, le fameux pompier de service que l’on rencontre inévitablement dans tous les théâtres, occupé à dévisager les actrices, qui finit par prendre en pitié le malheureux journaliste et lui indiqua celui qu’il cherchait.

— Voilà M. Coutureau.

— C’est pas malheureux, grogna Fandor.

En même temps il se précipita vers le brave homme et l’empoigna par le bras :

— C’est vous monsieur Coutureau ?

— Moi-même, jeune homme. Qu’est-ce qu’il y a pour votre service ?

— Je viens plutôt pour le vôtre, ripostait Fandor.

Et comme le père Coutureau le regardait, interloqué, Fandor entraînait le brave homme à l’écart :

— C’est au sujet de votre fille Rose que je me trouve ici.

Immédiatement la figure du père Coutureau se rembrunit.

Depuis quelque temps, le pauvre malheureux n’avait guère l’habitude d’entendre parler de sa fille sans qu’il en résultât pour lui des inquiétudes ou des ennuis. Qu’allait-il encore apprendre ?

— Vous venez au sujet de ma fille ? répondait le père Coutureau. Expliquez-vous, monsieur.

Il n’appelait plus Fandor « jeune homme », il devenait respectueux. Le journaliste nota la nuance.

— Écoutez, reprit Fandor, il faut que j’aille vite et droit au fait, par conséquent tâchez de me répondre avec franchise.

— Mais qui êtes-vous ?

— Quelque chose comme un policier.

La réponse était vague et le père Coutureau roulait des yeux stupéfiés.

— Bon, bon, faisait-il, parlez !

— Voilà, continuait Fandor. Vous avez lu les journaux ce matin ?

— Oui, monsieur.

— Vous avez vu alors que la comtesse de Blangy, ou plus exactement lady Beltham, car telle était en réalité le nom de cette grande dame, était morte assassinée ?

— Oui. Après ?

Le front du père Coutureau se barra d’un pli soucieux. Ce début de conversation ne laissait préjuger rien de bon à son avis. Qu’allait-il encore apprendre ?

— Eh bien, poursuivit Fandor, à tort ou à raison, la police se figure que votre fille est pour quelque chose là-dedans.

— Ma fille ? Seigneur Dieu !

Le père Coutureau leva les bras au ciel, il protesta avec effarement :

— Mais jamais Rose n’a connu lady Beltham.


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