— Çà, faudrait pas me la faire ! Je veux bien être gentil, monsieur Coutureau, mais, en revanche, ne vous payez pas ma tête, ça coûte cher d’ordinaire. Votre fille n’a peut-être pas connu lady Beltham mais elle a sûrement connu la comtesse de Blangy, puisqu’elle l’a volée.
— Elle l’a volée par étourderie, monsieur.
— C’est un genre de vol que la loi n’admet pas.
— Mais cette dame avait retiré sa plainte.
— Possible, cela ne change rien à l’affaire.
— Enfin, monsieur, je vous jure que Rose…
— Rose, monsieur Coutureau, va être compromise dans cette histoire-là, aussi vrai que je m’appelle Jérôme Fandor, et compromise de sale manière. Elle est en relation avec Fantômas, n’est-ce pas ?
— Dites que Fantômas l’a sauvée.
— Hein ? quoi ?
À l’extraordinaire déclaration que le père Coutureau avait faite d’un ton très calme, Fandor sursauta. Comment ? Fantômas avait sauvé Rose Coutureau ? Il l’avait sauvée de quoi ? de qui ?
Jamais Fandor n’avait pas encore entendu dire que Fantômas se fût intéressé à Rose Coutureau. Le journaliste se prit à songer que Juve avait peut-être eu grandement raison de l’envoyer faire une enquête au Théâtre Ornano. Peut-être allait-il apprendre des choses très intéressantes. L’entracte cependant s’achevait. Le père Coutureau, figurant dans la pièce, devait rentrer en scène :
— Écoutez, demandait Fandor, ça ne peut pas se passer comme cela. Continuez à jouer, monsieur Coutureau, mais je vous attends à minuit. Que diable, il faudra bien, en buvant un verre, que nous éclaircissions l’un et l’autre toutes ces choses fort mystérieuses.
***
À la sortie du théâtre, en effet, Jérôme Fandor, conduisait le père Coutureau dans un bistrot voisin où se réunissaient régulièrement les machinistes et les figurants du Théâtre Ornano.
Grand et généreux, Fandor paya une tournée au père Coutureau et tâcha de le faire parler.
Ce que le journaliste apprit alors était si inattendu, si stupéfiant, que Jérôme Fandor, par moments, pensa, que peut-être le père Coutureau n’était point l’imbécile qu’il semblait être et lui racontait des boniments inventés de toutes pièces.
Pourtant, le vieil habilleur parlait avec une profonde conviction.
— Oui, disait-il, Fantômas est une crapule aux yeux de la police, mais moi et ma fille, nous n’avons pas le droit de le considérer autrement que comme un sauveur. C’est lui qui a tiré Rose d’affaire, c’est lui qui l’a empêchée d’être condamnée comme voleuse. Tout ce que voudra Fantômas, je le ferai. Et tout ce qu’il demandera à Rose, elle le fera.
— Mais bougre de nom d’un chien ! tonna le journaliste. Triple idiot que vous faites ! Père Coutureau, vous ne voyez donc pas que Fantômas s’est proprement payé votre figure et celle de votre fille ? Il l’a sauvée, c’est possible, mais il ne l’a pas sauvée de grand-chose, puisque après tout, la comtesse de Blangy devait retirer sa plainte le lendemain même. Et puis, toutes ces aventures-là, ce sont des aventures inquiétantes, et comment ne comprenez-vous pas que Fantômas n’a agi de la sorte que pour compromettre votre fille en la mêlant à l’assassinat de lady Beltham, ce qui probablement lui est d’une utilité que nous ne connaissons pas encore.
Le père Coutureau, aux paroles de Fandor, commençait à hésiter. Brave homme mais d’esprit peu ouvert, il avait la réflexion lente. Ce qu’on lui disait lui semblait vraisemblable, mais, il avait peine à imaginer que Fantômas, auquel il vouait un culte depuis quelque temps, était peut-être peu digne de son admiration, et même avait peut-être cherché à lui nuire et à nuire à sa fille.
— Non, mon bon monsieur, répétait-il, non, sûrement que vous vous trompez. Fantômas n’a pas dû vouloir compromettre Rose, et d’ailleurs… d’ailleurs, vous allez bien voir ce qu’en pensent les camarades.
Fandor n’aurait peut-être pas voulu mettre ainsi tout le monde du Théâtre Ornanoau courant de son enquête, mais il ne lui était guère possible de faire taire le père Coutureau qui, très excité, à la fois épouvanté et incrédule, ne savait que penser.
— Écoutez, disait le brave homme, écoutez ! Voilà monsieur qui prétend que Fantômas, Fantômas, vous le savez bien, qui a sauvé Rose l’autre jour, va précisément la compromettre dans l’histoire de l’assassinat de M me de Blangy.
À ces mots, surprise générale.
Bavard, le père Coutureau avait depuis longtemps conté les aventures de Rose à tout le monde au théâtre. On était donc au courant et l’on ne se privait point de mal juger les affirmations de Fandor, personnage d’autant plus suspect que personne ne le connaissait, que personne ne savait d’où il venait.
— Allez, allez, disait un machiniste, ne t’occupe pas de ce que jaspine monsieur, tout ça c’est des histoires ! Ce qu’il y a de sûr, c’est que ta fille allait faire de la taule et que, grâce à Fantômas, elle n’en a pas fait. Tu n’as à savoir que ça.
C’était l’opinion générale.
Dick, lui-même, qui était entré dans le bar par hasard, approuvait les paroles du machiniste :
— Je ne vois pas très bien, déclarait-il, pourquoi Fantômas aurait pris la peine de sauver Rose Coutureau, qu’il ne connaissait pas encore, si c’était son intention de la compromettre ensuite. Et puis, d’ailleurs, rien ne prouve que ce soit Fantômas qui ait réellement tué avenue Niel. Les journaux le soupçonnent, c’est vrai. Mais enfin, les journaux ne sont pas infaillibles.
Fandor, sous ce flot d’arguments, devant l’hostilité générale, n’insista pas. Il écoutait les conversations, nota de petits détails dans l’espoir continuel de surprendre quelque indice intéressant, puis, comprenant que tous les gens qu’il avait devant lui ne savaient rien, ou, qu’en tout cas, ils ne voulaient rien dire, il paya son dû et se leva :
— Père Coutureau, dit le journaliste, je ne doute pas que vous soyez de bonne foi, mais assurément vous ne vous rendez pas compte des dangers qui menacent votre fille, et vous aussi peut-être. Fantômas jouant à l’homme de bien, cela ne s’est jamais vu. Prenez garde, prenez garde !
Et Fandor s’éloigna sur ces paroles qui troublèrent le père Coutureau, et créèrent un vrai malaise chez ceux qui les entendirent.
***
Entré dans la chambre de lady Beltham, cette chambre dont il avait sondé les murailles, dont il avait méticuleusement assuré la protection en bouchant la fenêtre, en barricadant les portes, en guettant continuellement l’unique entrée qu’il avait laissée subsister, Juve avait aperçu couché sur le lit de milieu le corps de lady Beltham.
Le policier, d’abord, de stupéfaction, s’était immobilisé au centre de la pièce, puis une colère folle, un désespoir furieux aussi s’étaient emparés de lui.
Juve s’était élancé, il avait couru jusqu’au lit, il s’était penché sur le corps. Un rauque juron s’était échappé de ses lèvres :
— Ah nom de Dieu ! Morte !
Et tout de suite après, alors qu’un frisson d’émotion le secouait, Juve avait ajouté :
— Tuée, c’est évident. Mais tuée comment ?
Juve, alors, retrouvait le sang-froid dont il avait à maintes reprises donné des preuves si extraordinaires.
Juve avait l’âme faite de cette façon que les difficultés et les mystères, loin de l’abattre, loin de le désespérer, le surexcitaient au contraire, infusaient une nouvelle ardeur à son énergie.
— Ah çà, c’est incompréhensible ! grogna-t-il. Personne n’est rentré ici, cependant, depuis hier soir.
Et Juve ordonna :
— Léon, restez debout devant la porte et empêchez quiconque d’entrer ! Michel, venez m’aider !
La mort de lady Beltham apparaissait à l’esprit du policier comme le mystère le plus incompréhensible, le plus inexplicable qu’il ait eu jamais à élucider.
La pièce où lady Beltham venait d’être assassinée – Juve en avait la persuasion, la certitude absolue, indiscutable – était hermétiquement close. Lady Beltham y était entrée la veille, bien portante, personne n’avait pu s’y introduire, et pourtant, elle venait de mourir.