— Qu’a-t-il donc pu se passer ? se demandait Juve.
Et, demeurant sans bouger, debout, à côté du lit de mort, il fouilla de ses yeux perçants les meubles, les murailles de la chambre, cherchant un indice, un détail, quelque chose qui pût lui faire au moins soupçonner de quel côté devaient porter ses recherches.
— Voyons, Michel, constata Juve, voyez-vous quoi que ce soit ici ?
— Je ne vois rien, chef, je ne vois rien.
Tout aussi désemparé que Juve, Michel, immobile comme son chef, regarda de tous côtés et ne découvrit rien.
— Lady Beltham est morte, se répétait Juve, morte à la date fixée, morte au commandement.
Et, soudain, comme il disait ces mots, Juve tressaillit.
Ah çà, ne venait-il pas de donner, sans y avoir pensé, la seule explication admissible de la mort de lady Beltham ?
Elle était morte à l’heure fixée, et au commandement… Parbleu ! N’avait-elle pas joué la comédie à Juve en venant lui demander sa protection et le policier n’était-il pas la victime d’une machination tragique ?
— Lady Beltham aimait Fantômas, se répétait-il, Fantômas a dû lui ordonner de se tuer. C’est elle qui a dû se tuer.
Et, il en arrivait, petit à petit, à imaginer un suicide, tant il était bien évident à ses yeux que personne n’avait pu s’introduire dans la pièce.
Juve, alors, se penchait à nouveau sur le cadavre de la malheureuse femme. Il l’examinait avec soin, il cherchait la trace d’une blessure, il cherchait la cause de la mort.
Mais Juve ne trouva rien.
Sur le grand oreiller brodé, dans l’auréole rose que dessinait une lampe électrique élégamment voilée d’un abat-jour de soie, et qui brûlait encore, le visage de lady Beltham apparaissait reposé, calme, tranquille, joli et fin, d’une beauté surnaturelle.
Lady Beltham avait les yeux clos, elle semblait encore dormir, aucune crispation n’avait défiguré ses traits. Ses lèvres même gardaient le fin sourire qui ajoutait un charme délicieux à son visage.
— Un suicide, se dit Juve, non ! Cette femme ne s’est pas suicidée, elle est morte en dormant, elle est morte sans se rendre compte qu’elle mourait.
Parbleu, si brave qu’eût été lady Beltham, et elle ne l’était pas énormément, en somme, puisqu’elle avait eu peur, elle aurait frémi en sentant venir le trépas.
— Or, pensait Juve, son attitude est posée, tout prouve qu’elle ne s’est pas sentie mourir. Même si elle s’était suicidée, il y aurait en elle, dans le désordre de sa pose quelque chose qui avertirait.
Mais l’hypothèse du suicide rejetée, Juve en cherchait une autre :
— Serait-elle morte de peur ? Sachant le danger qui la menaçait, aurait-elle été victime de l’effroi ?
Mais c’était encore là une explication inadmissible.
On ne meurt pas de peur dans une tranquillité aussi parfaite que celle qui semblait avoir été la tranquillité de lady Beltham.
— Elle est morte en dormant, fit encore Juve. On ne meurt pas de peur.
Et puis il y avait ce fait étrange, bouleversant, que cette mort était bien survenue à la date fixée, à la date arrêtée, choisie par Fantômas. Mais était-ce bien Fantômas qui avait tué lady Beltham ?
— Chaque fois que j’y réfléchis, pensait Juve, je trouve dans cette affaire un nouveau mystère. Non, je ne peux pas croire que Fantômas ait tué lady Beltham, cela dépasse mon imagination, cela dépasse mon entendement. Et pourtant ? Pourtant, nom d’un chien, il n’y a que Fantômas pour avoir pu tuer dans des conditions si mystérieuses, il n’y a que Fantômas pour être le criminel qui ait pu entrer sans laisser de trace dans cette chambre.
On y revenait toujours. Il apparaissait impossible que quelqu’un se fût réellement introduit dans la chambre barricadée et cependant, il fallait bien que quelqu’un s’y fût introduit, car sans cela lady Beltham ne serait évidemment pas morte.
— Je deviens fou, murmura Juve.
Le policier appela :
— Michel !
— Chef ?
— Allez voir si la porte barricadée par nous tient toujours !
Michel, prenant garde de ne rien déranger à l’aspect des meubles, à leur disposition, se rendit à la porte que Juve et lui avaient murée deux jours avant, grâce à des peines infinies.
L’agent secoua les planches, vérifia les cordes, et il n’hésita pas à répondre.
— Chef, rien n’a été dérangé depuis la construction de notre barricade.
— Allez voir la fenêtre, alors !
La fenêtre était toujours clouée, le matelas de coton qui garnissait l’espace demeurant vide entre les vitres et les volets de fer n’avait pas été touché.
— La fenêtre est dans le même état.
— Alors, on n’est pas entré ici.
Et pour la centième fois peut-être, Juve promena ses regards sur les murailles de la pièce, les murailles qu’il avait sondées, qui étaient pleines, qui n’étaient pas truquées, sur les portes, dont l’une était barricadée, dont l’autre n’avait pas été perdue de vue pendant toute la nuit par lui, Léon et Michel, sur les fenêtres qui étaient closes.
Mais, en considérant encore une fois la chambre, Juve aperçut toujours le cadavre de lady Beltham étendu sur le lit. Et ce cadavre semblait répondre à l’interrogation que se posait Juve, semblait démentir ses paroles.
— Hélas, disait la morte dans sa rigidité sépulcrale, il faut bien qu’on soit entré ici, puisque j’ai été assassinée.
Juve sentait si bien tout ce qu’il y avait d’incompréhensible et de contradictoire dans ces constatations, que le découragement le prit.
— Bon Dieu, jura le policier, c’est à croire que nous ne trouverons jamais la clef de cette énigme !
Juve ordonna :
— Michel, vous allez rester ici, et n’en pas bouger jusqu’à mon retour. Léon, demeurez sur le pas de la porte, je vais enquêter dans le voisinage.
Juve quitta le rez-de-chaussée tragique et se livra, en effet, à une enquête rapide. La concierge, bien entendu, ignorait encore tout du drame et ne pouvait fournir aucun renseignement.
— Vous n’avez rien entendu ? demanda Juve.
— Absolument rien, monsieur l’inspecteur.
Juve n’insista pas d’ailleurs. Lui-même qui se trouvait dans la galerie séparée de la chambre de lady Beltham, par une simple cloison, n’avait rien entendu non plus, comme n’avaient rien entendu Léon et Michel.
Juve sortit de l’immeuble, siffla deux coups stridents pour convoquer d’urgence les policiers qu’il avait disposés autour de la maison, la veille au soir.
L’inspecteur qui stationnait sur le toit accourut. Deux autres agents qui s’étaient promenés dans un bout de l’avenue se rendaient à son appel. Nalorgne et Pérouzin seuls manquaient à la convocation de Juve.
— Où sont ces imbéciles ? questionna le policier.
— Chef, après deux heures d’efforts, ils ont réussi à mettre en marche leur automobile. Ils viennent d’aller l’essayer au Bois de Boulogne. Ils ont dit qu’ils reviendraient tout de suite.
La disparition de Nalorgne et Pérouzin avait bien peu d’importance, Juve ne s’y arrêta pas.
— Avez-vous surpris quelque chose ? interrogea-t-il.
Et il mit rapidement les agents au courant du drame qui venait de se dérouler.
Mais aux déclarations de Juve, si une stupeur se peignait sur tous les visages, aucune réponse n’était donnée, aucune indication n’était fournie.
Personne n’avait rien vu. Personne n’avait rien remarqué.
— C’est à devenir fou, répéta Juve.
Et, tenace comme il l’était, le policier n’était point prêt à renoncer à deviner la façon dont était morte lady Beltham.
— Je saurai, hurla Juve dans un mouvement de colère véritable, comment Fantômas a procédé ! Je le saurai, quand je devrais passer ma vie à le chercher.
Juve, à ce moment, retourna vers le petit rez-de-chaussée, puis, hésitant, s’arrêta sur le seuil de l’habitation.
— Oh oh, fit-il, est-ce que par hasard… ?
Juve traversa rapidement le trottoir de l’avenue Niel. Un fiacre passait, qu’il héla :
— Conduisez-moi à la caserne des sapeurs-pompiers qui se trouve en face du Palais de Justice.