– Ah! mon Dieu! exprima M. Hilaire, touché jusqu’au fond du cœur par ce spectacle merveilleux, je l’ai toujours dit que vous étiez un homme de famille.
– Je n’ai jamais demandé qu’à vivre tranquillement entre ma femme et mon fils, en bon époux et en bon père, répliqua le vieillard, et ce n’est pas de ma faute s’il en a été autrement!
Mais, M. Hilaire se mit à réfléchir que, si tous les joyaux qui étaient là étaient «du vrai», il y avait dans cette cave une bien jolie fortune!
– Tout ce que je gagne y passe! fit entendre Papa Cacahuètes, qui répondait ainsi à la pensée intime de M. Hilaire.
Et M. Hilaire eut un haut-le-corps…
Il songea que ce ne pouvait être avec la vente de quelques cacahuètes que le vieillard se payait le luxe d’offrir de tels bijoux à sa femme et à son fils!
Cependant Chéri-Bibi était en extase devant les portraits.
– Je ne manque jamais, expliqua le bonhomme, de leur offrir un petit cadeau pour leur fête, pour leur anniversaire et chaque fois que je retrouve sur le calendrier la date d’un événement heureux de notre bonne vie d’autrefois! Ma chère femme, mon cher enfant! Mon petit! Tiens, la Ficelle, je vais te montrer quelque chose…
Ce disant il ouvrit un coffre puis continua:
– Quand j’ai su qu’il allait entrer dans l’armée, j’en ai été plus fier que l’on ne saurait dire! À la bonne heure! Un Touchais! Un Touchais ne pouvait être qu’un soldat! un bel officier avec un beau sabre! et je lui ai offert son premier sabre! Tiens, voilà son premier sabre! Maintenant, je vais te montrer autre chose! Voici la croix de la Légion d’honneur de mon fils (il l’embrassa.) Figure-toi que je la lui avais offerte bien avant que le gouvernement la lui donnât; j’envoyais cette croix bien mystérieusement à la mère en lui faisant dire qu’un admirateur de son fils serait heureux qu’elle voulût bien accepter ce présent et l’attacher elle-même sur sa poitrine! Tu penses si je rêvais en attendant la réponse! Hélas! la réponse ne se fit pas attendre…, Cécily fit retourner la croix, disant qu’elle ne pouvait accepter le présent d’un inconnu… j’en ai pleuré huit jours! Elle l’avait sans doute trouvée trop riche! Regarde donc ces diamants! Ah! que j’ai pleuré! Mon fils est le plus intelligent, et le plus beau, et le plus fort! Il mettra la République dans sa poche! Il sera roi! Je lui fais faire une couronne en ce moment à Paris chez le premier joaillier de la rue de la Paix! Enfin… je vais te dire encore une chose! une chose ineffable… Je vois Cécily tous les jours!
– Tu vois Cécily! Vous voyez Mme la marquise, tous les jours?
– Comme je te vois, mon bon Hilaire!
– Mais elle ne sort jamais!
– Ah! tu sais cela, toi! Eh bien! mais c’est peut-être qu’elle me reçoit!
– Elle vous reçoit?
– Tu vois bien que je plaisante… Mais tiens! monte avec moi sur ce banc! regarde par cette petite ouverture grillagée et dis-moi ce que tu vois?
– Je vois, à la lumière de la lune, un jardin avec de vieux bancs de pierre moussue, du lierre sur les murs et de l’herbe dans les allées… un petit jardin bien triste.
– Il n’est point triste quand elle vient s’y promener, soupira Chéri-Bibi, et il me paraît alors plus grand que l’univers!
– C’est donc là qu’elle habite? demanda la Ficelle… Je suis allé pourtant quelquefois chez elle, mais je ne connaissais point le côté jardin de l’hôtel de la Morlière.
– Vois-tu, mon bon La Ficelle, du moment que Dieu m’a donné ce petit soupirail, je n’ai plus rien à lui refuser!
– À qui?
– À Dieu! Il peut me demander tous les crimes dont il a besoin, il les a!
M. Hilaire, maintenant tout à fait rassuré sur la santé de Chéri-Bibi, commençait à avoir un peu moins de pitié pour lui, en même temps qu’il lui rendait beaucoup de son admiration terrifiée d’antan; mais il ne parvenait point, après ce qu’il venait d’entendre, à se délivrer complètement d’une certaine inquiétude en ce qui le concernait, lui, M. Hilaire.
Aussi ce ne fut pas sans un certain émoi qu’il s’entendit interpeller, bien amicalement cependant, en ces termes pourtant engageants:
– Et toi, mon bon Hilaire, voyons, qu’est-ce que tu deviens?
Maintenant ils étaient revenus dans le taudis, entre un grabat, un vieux bureau à trois pattes et les deux sacs de cacahuètes qui gisaient toujours dans un coin.
– Eh bien, mais, répondit M. Hilaire avec un sourire un peu niais… eh bien, mais ça ne va pas trop mal…
– Et ta Virginie, reprit Chéri-Bibi, a-t-elle un caractère toujours difficile?
– Euh! euh!
– Mais enfin, elle ne te rend plus malheureux? Comme c’est moi qui ai fait le mariage, je ne m’en consolerais jamais! Et puis, tu sais… tu n’aurais qu’un mot à me dire… je lui aurais bientôt fait passer le goût de la mélasse à ta Virginie!
M. Hilaire se leva, épouvanté.
– Ciel! monsieur le marquis, ne touchez pas à ma femme!
– Eh là! je n’en ai nulle envie…
– S’il lui arrivait jamais malheur, je la connais, elle viendrait me tirer par les pieds toutes les nuits! Ah! monsieur le marquis, ne me faites pas peur! Qu’avez-vous donc cru? Mais nous faisons bon ménage depuis nos dernières aventures… nous sommes cités dans le voisinage comme des époux modèles… De temps en temps, nous avons une petite discussion. Mais dans tous les ménages, n’est-ce pas, on a ses heures d’impatience?
– Certainement!
– Et pourvu que je lui obéisse en tout et que je fasse ses quatre volontés, elle finit par me céder!
– Cette brave Virginie!
– Oh! elle a des qualités! Elle tient bien la caisse! Il n’y en pas une comme elle pour la comptabilité! Et elle m’est fidèle!
– Et toi, lui es-tu fidèle?
– Oh! ça, je vous le jure, monsieur le marquis! Je n’ai jamais oublié vos principes en cette matière et j’aurais été le dernier des misérables si je n’avais point profité de vos leçons et de votre exemple!
– C’est bien, ami la Ficelle, répondit Chéri-Bibi sur le ton le plus grave et en ne dissimulant pas sa satisfaction.
Chéri-Bibi n’avait jamais plaisanté sur le chapitre des mœurs.
– Mais je dois vous dire, continua M. Hilaire, que ma femme est tellement tyrannique (car elle est tyrannique) qu’elle m’a fait faire de la politique malgré moi!
Et M. Hilaire toussa.
– Eh! mon cher! Elle a bien fait, s’exclama Chéri-Bibi… Dans les temps troublés où nous sommes, nul n’a le droit de se désintéresser de la chose publique…