– Vous… vous trouvez?
– Quand je t’ai entendu prononcer ce discours-là, je me suis dit: «Ça, c’est rudement fort! M. Hilaire est devenu le maître de la situation! Le club de l’Arsenal est à nous!»
– Ouf! soupira M. Hilaire, voilà justement ce que je me suis dit aussi: le club de l’Arsenal est à nous!
– Désormais, continua imperturbablement Chéri-Bibi, il pourra, ce terrible club, décider tout ce qu’il voudra, il ne le fera point sans nous!
– Oh! il ne peut rien faire sans nous, quelle consolation de se dire cela!
– Nous serons dans le secret des dieux!
– Évidemment! acquiesça M. Hilaire, avec un nouveau soupir.
– Et quelle force pour nous quand nous nous présenterons au nom du club de l’Arsenal!
- Rien ne nous résistera, murmura plaintivement M. Hilaire.
– Nous connaîtrons ainsi les amis et les ennemis du commandant Jacques! car tu dois être un «subdamoun» enragé, mon bon Hilaire!
– Enragé! monsieur le marquis!
– Dans le cas, reprit Chéri-Bibi, où notre entreprise contre la République de M. Hérisson ne réussirait point autant que nous devons l’espérer, c’est ta situation exceptionnelle dans ton quartier qui nous sauverait! Qui oserait te soupçonner? Ta cave deviendrait le sûr refuge de nos amis proscrits! C’est là qu’ils trouveraient une sécurité momentanée dont le besoin peut toujours se faire sentir, car, enfin, il faut tout prévoir!
– Heu! Heu! fit M. Hilaire qui se reprit à tousser.
– Mets ton foulard! conseilla sagement Papa Cacahuètes…
– Heu! Heu! bien entendu, ma cave! ma… cave est toujours là!
– Sans compter que Mme Hilaire, d’après ce que tu m’as dit, saurait se montrer à la hauteur des circonstances… C’est elle qui serait chargée de ravitailler les proscrits!
– Heu! Heu! Mme Hilaire…
– Quoi, Mme Hilaire?
– Eh bien! Entre nous, il vaudrait mieux ne rien dire à Mme Hilaire!
– Ne t’affole point, mon bon Hilaire, reprit d’un air bonasse l’excellent vieillard… Pour le moment, il ne s’agit que de victoire! Et nous allons tous les deux achever de l’organiser.
– Je croyais que nous partions pour la campagne?
– Oui! à Versailles! c’est là que nous allons achever d’organiser la victoire… mais avant de prendre le train, tu vas te munir d’une cinquantaine de laissez-passer au sceau du club de l’Arsenal.
– Grands dieux! s’exclama M. Hilaire.
– Que se passe-t-il encore? demanda Papa Cacahuètes… Ta conscience répugnerait-elle à de pareils moyens?
– Aucunement, aucunement! et je suis bien heureux, au contraire, d’avoir cette occasion de vous rendre service…
– Eh bien! alors?
– Eh bien! alors, ces laissez-passer, il faut que j’aille les chercher chez moi.
– Naturellement!
– Et si j’entre chez moi, ma femme, je le crains, fera quelques difficultés pour me laisser ressortir!
– Tu lui diras que c’est pour la grande cause, mon bon Hilaire, et elle te laissera faire tout ce que tu voudras!
– Ah! bon! vous ne la connaissez pas!
– Va, Hilaire! Va! Voici là ta splendide boutique! Ce n’est pas le moment de te montrer pusillanime! Va, mon ami, je t’attends!
L’ordre était catégorique, M. Hilaire ne se le fit pas répéter et c’est avec une angoisse inexprimable qu’il s’avança vers le seuil de son auguste demeure.
Il ouvrit en tremblant la petite porte basse percée dans la tôle de la devanture et la referma derrière lui.
Chéri-Bibi attendit. D’abord, rien ne vint attirer son attention, et puis, peu à peu, il s’intéressa à un certain murmure grossissant qui venait du premier étage. Il se faisait là-haut un certain tumulte. Ainsi on percevait nettement le bruit de la vaisselle cassée.
Et puis tout ce bruit sembla descendre, rouler du premier étage au rez-de-chaussée avec un fracas extraordinaire.
De grands coups sourds retentissaient entre les cloisons, comme si elles eussent été bombardées de projectiles. Une vitre se brisa, on entendit des cris, des lamentations, des supplications.
Chéri-Bibi se dit, sans autre émotion: «C’est Mme Hilaire qui se réveille» et il commençait à plaindre sérieusement son ami la Ficelle, quand son attention fut soudain attirée par une sorte de gémissement qui sortait de terre, à ses pieds.
C’est alors qu’il vit apparaître, à un soupirail, donnant sur les fameuses caves de la Grande Épicerie moderne, la tête ébouriffée, affolée et fortement contusionnée de ce pauvre M. Hilaire.
– Vite! aidez-moi à sortir de là, râlait le malheureux garçon… Elle arrive! Vite! sauvez-moi!
– Prends ma main! fit Chéri-Bibi en allongeant son énorme patte. L’autre s’y accrocha comme le naufragé s’accroche à la branche qui, seule, peut le sauver d’une catastrophe imminente.
… «Oh! hisse!»… et Chéri-Bibi sortit de l’enfer et de sa cave ce pauvre M. Hilaire, que Mme Hilaire continuait à chercher partout avec des imprécations dont l’écho fit filer les deux compères.
– As-tu au moins les cartes du club? demanda Papa Cacahuètes…
– Oui, oui! je les ai, souffla M. Hilaire en se frottant la tête… Ah! là! là! quelle tempête! quelle femme! Non! regardez-moi comme elle m’a arrangé! N’est-ce pas honteux?
Chéri-Bibi considéra M. Hilaire avec un certain apitoiement.
Non! Non! vraiment M. Hilaire n’était pas beau à regarder au sortir de sa cave, dans le matin blême de ce jour mémorable.
Il n’avait pas de faux col, plus de cravate: le plastron de sa chemise avait été arraché. Son beau veston du dimanche n’était plus qu’une loque; son couvre-chef naturellement était resté sur le champ de bataille et on aurait payé bien cher M. Hilaire pour qu’il consentît à aller le rechercher.
– Tout de même, reprit-il après quelques instant de silence… je ne puis courir les rues, ni même me promener à la campagne, dans cet appareil de désordre… Je suis fait comme un voleur… ou plutôt comme un volé!
– Je vais te dire comment tu es fait, répliqua Chéri-Bibi… Tu es fait comme un orateur de club qui a rencontré des contradicteurs payés par la réaction! Je t’en prie, monsieur Hilaire, garde tes loques!
Ils étaient arrivés au coin d’une rue. M. Hilaire mit sa main sur le bras de Papa Cacahuètes.