Celle-ci descendit. Elle avait deux plis à la main, mais, arrêtée au seuil par les garçons en livrée, elle leur remit les lettres en leur montrant le commandant.

Jacques avait déjà fait un pas vers elle.

On lui apporta aussitôt cette correspondance. Elle lui était adressée, ainsi qu’à Frédéric Héloni, et il reconnut les deux écritures de Lydie et de Marie-Thérèse.

Or, dans le même instant, arrivait enfin Lespinasse entraînant Tissier.

Dès lors, rien n’exista plus pour lui que sa mission. Il était sûr désormais de triompher, s’il ne perdait pas une seconde, et il remit naturellement à plus tard «les affaires de cœur» et la lecture de sa lettre.

Tissier était pâle comme un mort! Lespinasse avait dû lui montrer la liste des accusés sur laquelle il avait lu son nom!

– On n’attendait plus que vous pour sauver la République, lui jeta le commandant.

Et il l’entraîna jusque dans la salle des séances, où leur entrée fut saluée d’une rumeur impatiente. Personne ne savait plus de quoi il s’agissait, ni ce qu’il fallait penser de l’absence de Lavobourg.

L’arrivée de Tissier qui avait conservé des liens d’amitié avec Pagès, malgré une politique sensiblement différente, fit craindre à certains que l’affaire ne fût déjà éventée et perdue.

Mais Jacques, poussant Tissier sur les degrés de la tribune présidentielle, s’écria:

– Messieurs, en l’absence de notre ami Lavobourg, victime d’un odieux attentat de nos adversaires, notre ami Tissier vient présider, comme c’est son devoir, cette séance où va se décider le sort de la République!

Des bravos frénétiques éclatèrent.

– Oh! alors, du moment que Tissier en était, on avait confiance! Lespinasse l’assit au fauteuil et Jacques bondit à la tribune.

– Messieurs, s’écria-t-il, le Sénat, suprême gardien de toutes les libertés républicaines, vient de nous donner l’exemple en votant la révision de la Constitution et en ordonnant la réunion immédiate de l’Assemblée nationale à Versailles! Si vous ne le suivez pas sur-le-champ dans la seule voie de salut qui nous reste, c’en est fait de la République et des républicains, je dénonce ici l’affreux complot ourdi par les fauteurs de terrorisme contre la patrie et la liberté!

La parole rude et enflammée de Jacques n’eut pas de peine à embraser toute cette troupe qui, maintenant, en avait trop entendu pour reculer.

Au milieu des cris, des interpellations, des bravos, Jacques lisait maintenant un rapport terrible sur les menées des clubs et le communisme envahissant la province. Enfin, après avoir jeté l’épouvante dans les cœurs en lisant la liste des suspects, dressée par la commission d’enquête, il terminait par un appel au courage et à l’énergie patriotique de la Chambre!

Aucun de ceux qui étaient là ne réclama d’explications. Le vote fut enlevé.

On tenait désormais le pivot sur lequel toute l’opération allait tourner. Il n’y aurait plus qu’à partir pour Versailles.

Sur ces entrefaites, Frédéric Héloni arriva avec le décret du président du Sénat, nommant le général Mabel gardien de l’Assemblée nationale.

Il fut accueilli par un véritable délire! Tous se croyaient sauvés, arrachés définitivement à la terreur révolutionnaire et les maîtres d’une nouvelle destinée!

Légalement, constitutionnellement, ils allaient donner un nouveau gouvernement à la France, et sans rien risquer personnellement, puisqu’ils avaient l’armée avec eux!

– À Versailles! À Versailles! À Versailles!

Déjà quelques députés qui venaient d’être avertis de ce qui se passait par des amis désireux de les entraîner, accouraient, les uns à pied, les autres en voiture, réclamant des explications, furieux d’avoir été tenus à l’écart.

Si l’affaire, au cours de la journée qui ne faisait que commencer, hésitait sur le succès, c’étaient ceux-là qui la précipiteraient et se montreraient les plus féroces.

Jacques et Frédéric quittèrent la Chambre les derniers après avoir serré deux cents mains et versé du courage dans tous les cœurs.

Comme ils montaient dans une auto qui devait les conduire à la place de l’Étoile, où les attendait le général Mabel, Jacques repensa aux lettres que lui avait remises Jacqueline et qu’il avait oubliées. Il les sortit de sa poche.

XVI CINQ MINUTES

– J’ai une lettre pour vous, dit-il à Frédéric Héloni, en lui passant le pli qui lui revenait et en commençant de décacheter le sien.

– Sans doute, une attention délicate de nos deux fiancées… continua-t-il, mais il n’acheva pas sa phrase.

Il poussait une sourde exclamation et Frédéric lui-même, qui avait lu, avait un cri de douleur.

– Chauffeur, arrêtez!

Ils se communiquèrent les lettres!

La phrase où Marie-Thérèse donnait ce dernier avis de pénétrer dans la chambre de Lydie sans lumière était terrible.

Héloni, qui était devenu d’une pâleur de cire, ne prononçait plus un mot.

Il savait de quel prix étaient alors les minutes pour le succès du coup d’État où Jacques avait engagé tant de braves gens. Il attendait dans l’horrible angoisse de son cœur la décision de Jacques.

– Le plus simple, fit tout à coup Jacques, d’une voix que Frédéric ne reconnut pas, serait que vous vous rendiez immédiatement chez ma mère et qu’après avoir donné l’alarme et pris des nouvelles vous me rejoigniez à Versailles, mais… mais il ne passe pas une voiture… pas une auto!

Ah! le combat terrible et rapide dans le cœur et la conscience de Jacques! Frédéric l’examinait avec des yeux d’épouvante. Il lisait clairement qu’il allait donner l’ordre au chauffeur de continuer son chemin; oui… il lisait cet affreux héroïsme dans les prunelles de son chef…

C’était la condamnation à mort de Marie-Thérèse et de Lydie.

Alors ne sachant plus beaucoup ce qu’il faisait, il tira sa montre et dit au hasard:

– Nous avons peut-être cinq minutes. Il ne nous faudrait que cinq minutes!

– Allons-y donc! hurla Jacques avec une fureur désespérée. Il jeta au chauffeur l’ordre d’aller à l’hôtel de la Morlière.

Ah! ils n’attendirent point que l’auto se fût complètement arrêtée pour se jeter dans l’hôtel.

Le concierge vit passer les deux hommes avec d’autant plus d’effroi qu’il fut presque jeté par terre dans leur course.

Déjà Jacques était à la porte de Lydie:

– Lydie! Lydie! supplia-t-il, en secouant la porte. C’est moi, Jacques! Ouvre-nous!


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